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Luis de Guindos
Vice-President of the European Central Bank
  • ENTRETIEN

Entretien avec Le Monde

Entretien accordé par Luis de Guindos, vice-président de la BCE, à Éric Albert le 16 avril et publié le 23 avril 2024

23 avril 2024

En mars, l’inflation en zone euro était de 2,4 %, proche de votre objectif de 2 %. La bataille contre l’inflation est-elle gagnée ?

Elle n’est pas finie, mais on a enregistré plusieurs victoires importantes sur le chemin de la désinflation. On est revenu de 10 % d’inflation à 2,4 %. L’inflation sous-jacente baisse aussi et est maintenant inférieure à 3 %. Tous les indicateurs vont dans le bon sens. Nous n’y sommes pas encore, mais nous y sommes presque. Nous pensons ’qu’en 2025, nous atteindrons notre objectif de 2 %.

Abstraction faite des risques géopolitiques, le principal danger qui demeure vient de l’inflation dans le secteur des services, qui est principalement alimentée par les salaires. Mais là aussi, il y a un affaiblissement évident de la dynamique : les salaires augmentaient de plus de 5 % en rythme annuel il y a quelques trimestres alors qu’ils ont progressé d’un peu plus de 4 % seulement au dernier trimestre 2023.

Pourquoi, en se concentrant sur les salaires, est-ce que ce sont toujours les salariés qui doivent payer les conséquences ? Votre collègue du directoire de la BCE, Piero Cipollone, soulignait récemment qu’il fallait bien rattraper le pouvoir d’achat perdu...

Il faut que les salaires augmentent pour rattraper le pouvoir d’achat perdu, mais il faut que ça s’accompagne d’une amélioration de la productivité. Or, ce n’est pas le cas, qu’il s’agisse de la productivité par personne occupée ou par heure travaillée. En conséquence, les coûts unitaires de main-d’œuvre continuent d’augmenter. Je pense néanmoins que nous allons dans la bonne direction et que des gains de productivité sont proches.

Cela signifie-t-il qu’une baisse des taux d’intérêt en juin est une quasi-certitude ?

Nous avons été très clairs : si les choses évoluent dans le même sens que ces dernières semaines, nous réduirons en juin le caractère restrictif de notre politique monétaire. Comment on dit en français, sauf surprise d’ici là, c’est un « fait accompli ».

À quelle vitesse la BCE peut-elle baisser les taux d’intérêt après cela ?

Cela dépendra de l’évolution des données, de la situation géopolitique, de l’effet potentiel sur le prix du pétrole, par exemple. Nous devrons également surveiller l’évolution des salaires, de la productivité. Nous devrons également tenir compte de ce qui se passe aux États-Unis, où l’inflation est plus élevée. Le niveau d’incertitude est tel qu’il est très difficile de se prononcer. Je vous ai parlé du mois de juin. Au-delà, je préfère être très prudent.

Vous avez mentionné l’inflation aux États-Unis, plus forte qu’en zone euro. La Fed pourrait ne pas être en mesure de réduire ses taux d’intérêt aussi rapidement qu’anticipé initialement. Est-ce que cela limitera la capacité d’action de la BCE ?

L’économie américaine est la plus grande économie du monde, les décisions de la Réserve fédérale sont essentielles non seulement pour les États-Unis, mais aussi pour l’économie mondiale, et cela influence aussi la zone euro. Le taux de change de l’euro face au dollar pourrait être l’un des canaux par lesquels il y a une incidence. Nous n’avons pas d’objectif de taux de change, mais nous devons prendre les effets des évolutions des cours de change en considération. Un autre canal important est celui des flux de capitaux. Si les taux d’intérêt à long terme deviennent beaucoup plus élevés aux États-Unis que dans le reste du monde, ils attireront les capitaux

Par ailleurs, une inquiétude venant des États-Unis pourrait résulter des attentes des marchés financiers, qui tablent actuellement sur une « désinflation immaculée », avec un atterrissage en douceur de l’économie, une baisse de l’inflation, des réductions des taux... S’il y a un accident quelconque, nous pourrions assister à une hausse de la volatilité et à une correction des prix, qui pourrait finir par s’étendre aux banques européennes. Aux États-Unis, le processus de désinflation s’est considérablement ralenti : l’inflation est légèrement inférieure à 3,5 %, et l’inflation sous-jacente légèrement inférieure à 4 %.

L’économie européenne est en stagnation. Une décennie après la crise de la zone euro, est-elle de nouveau en train de décrocher ?

Si on la compare aux États-Unis, il est clair que notre croissance est plus faible. La grande différence, c’est la productivité, qui est plus élevée aux États-Unis. Les indicateurs avancés en Europe laissent entrevoir une modeste reprise économique dans la seconde moitié de 2024, mais nous aurons un taux de croissance inférieur à 1 %, en dessous de notre potentiel, ce qui est un résultat très faible.

S’agit-il d’une perte de compétitivité permanente pour l’Europe ?

Non. L’économie européenne a été beaucoup plus exposée aux chocs récents, principalement la guerre en Ukraine. Et, pour les États-Unis, le choc énergétique a été beaucoup moins intense.

Le déficit de la France a atteint 5,5 % du PIB en 2023, un niveau plus élevé que prévu. Celui de l’Italie pointe à 7,2 %. Les pays européens doivent-ils réduire leurs dépenses publiques, au risque de tuer la faible croissance actuelle ?

Il ne faut pas oublier que la menace liée à l’orientation budgétaire existe, et que le niveau de dette a beaucoup augmenté. Il faut donc supprimer les aides introduites au début de la crise énergétique, parce que les prix de l’énergie sont revenus à leur niveau d’autrefois. Ensuite, il faudra mettre en place un processus de consolidation budgétaire prudente. Je ne pense pas qu’on risque de commettre les mêmes erreurs que pendant la crise de la zone euro, parce que les nouvelles règles budgétaires sont beaucoup plus équilibrées et prudentes. La manière de revenir à 60 % [de dette par rapport au PIB] et 3 % [de déficit par rapport au PIB] est plus souple. Et j’espère que la nouvelle Commission européenne évitera toute politique procyclique inutile.

Il y a également la concurrence chinoise. L’industrie européenne doit-elle s’inquiéter d’un déferlement de produits qui ont été subventionnés ?

Le principal risque posé par la Chine est en fait lié aux inquiétudes concernant la croissance. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’économie allemande est à la traîne par rapport au reste de la zone euro, les exportations étant très importantes pour ce pays. Cela m’inquiète plus que l’arrivée de nombreux produits chinois en Europe, même si nous devons être vigilants.

Le coût humain de la crise au Moyen-Orient est énorme, mais quelles sont les conséquences économiques ?

Si vous regardez les prix du pétrole, la réaction initiale des marchés a été relativement modérée. Espérons qu’ils aient raison. Mais les risques géopolitiques sont très importants. On sait comment ce genre de choses commence, on ne sait pas comment elles finissent.

En mars, la BCE a publié un communiqué de presse appelant à enfin mettre en place une union des marchés de capitaux dans l’UE. Mais le projet semble patiner depuis des années…

Les avancées de l’intégration européenne sont insuffisantes. On parle beaucoup d’union des marchés des capitaux, mais on ne fait pas grand-chose. Nous n’avons pas achevé l’union bancaire. Nous avons fait le programme « Next Generation EU » [un emprunt européen commun, d’environ 800 milliards d’euros], ce qui est un pas très important mais isolé. Je ne vois aucun progrès en ce qui concerne la création d’une capacité budgétaire commune. Nous nous trouvons à un moment délicat, avec les élections européennes de juin et l’arrivée d’une nouvelle Commission. J’espère qu’un nouvel élan sera donné après cela.

Vous souhaitez donc la création d’une capacité budgétaire européenne commune ?

La BCE est claire à ce sujet : nous avons une politique monétaire unique, une supervision bancaire unique, et nous avons besoin d’une capacité budgétaire centralisée au sein de l’Union économique et monétaire.

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