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  • 5 juin 2020

Entretien avec France 2

Entretien accordé par Christine Lagarde, Présidente de la BCE, à Léa Salamé et Thomas Sotto, diffusé le 4 juin 2020

Bonsoir Christine Lagarde et merci de nous réserver l’une de vos très rares prises de parole. Vous avez annoncé, cet après-midi, des prévisions de croissance très mauvaises pour la zone euro, de -8,7% en 2020. En France, on prévoit 11% de récession. Comment rester optimiste, avec des chiffres aussi catastrophiques ?

Nous restons optimistes parce que nous savons qu'aujourd'hui, nous sommes au plus bas de la crise. Les économies viennent de subir un choc extrêmement important, jamais vu en temps de paix, le choc d'une pandémie qui a atteint successivement tous les pays du monde, qui a freiné - voire arrêté complètement - certaines économies. Mais nous savons maintenant depuis quelques jours, ou quelques semaines dans certains pays, que les mesures de confinement sont peu à peu levées. Graduellement, l'activité est en train de repartir.

Nous étions donc au fond de la piscine et nous sommes en train de doucement remonter vers la surface. Évidemment, les améliorations vont dépendre de la vitesse à laquelle on remonte la pente, et de l'effort collectif qu'on est tous capables d’engager. Deuxième raison d'espérer : nos projections sont, certes, très mauvaises pour cette année, - 8,7 % de croissance, un chiffre négatif donc pour l'année 2020. 

En revanche, nous repasserons en territoire positif dès 2021, et nous retrouverons très probablement à la fin de 2022 le niveau économique auquel nous étions au moment où nous sommes entrés dans cette crise catastrophique, déclenchée par la pandémie du Covid-19.  Donc, nous étions au plus bas et nous commençons à remonter la pente et, l'année prochaine, nous repasserons en territoire positif.

Évidemment, c'est un moment très difficile à passer et pendant lequel il faut que toutes les énergies soient mobilisées. Il faut que l’on fasse tout ce qu'on peut pour réactiver la confiance. Il faut que nous, à la Banque centrale européenne, nous assurions que le crédit continue à fonctionner, que les investissements puissent se faire, que la consommation reparte. Il faut que toutes les énergies soient déployées, que toutes les institutions soient mobilisées, au niveau national, au niveau régional et au niveau européen évidemment.

Pour essayer de remonter en haut de la piscine, pour reprendre votre métaphore, la BCE a décidé d’injecter 600 milliards d’euros de plus dans son programme d’urgence de soutien à l’économie. Cela fait 1350 milliards d’euros au total : des chiffres astronomiques, vertigineux dont on a peine à saisir la valeur concrète. Cela va servir à quoi tout cet argent, dans nos vies, Madame Lagarde ?

Le programme dont vous parlez est destiné à acheter des emprunts d'État et des titres privés. Pourquoi faisons-nous cela? Nous le faisons pour peser à la baisse sur les taux d'intérêt. Mécaniquement, notre action se transmet à l'ensemble de la chaîne des produits financiers et des crédits consentis aux entreprises et aux ménages. Si la Banque centrale européenne fait baisser les taux d'intérêt qui s'appliquent aux États, cela a un effet mécanique à la baisse sur les taux d'intérêt qui sont consentis aux entreprises et aux ménages. 

Donc, lorsque vous achetez une voiture, lorsque vous prenez un crédit à la consommation, lorsque vous achetez un bien immobilier, la banque, l'organisme financier qui vous fait crédit peut le faire à des taux d'intérêt particulièrement intéressants, et cela parce que la Banque centrale européenne et l'ensemble des banques nationales du réseau européen pèsent à la baisse sur les taux d'intérêt. 

Du coup, les dettes des pays de la zone euro explosent ! On parle de 115% du PIB en France, c’est du jamais vu. Faudra-t-il rembourser cet argent ? Si oui, quand : dans 10, 50 ou 100 ans ? Est-ce qu’on va être étranglés pour rembourser cet argent ?

Deux choses très, très importantes, si vous me permettez. D'abord, il n'y avait pas d'autre option que de recourir à l'emprunt pour faire face à la dépense budgétaire. C'est-à-dire que pour arriver à garder l'économie en l’état, il fallait absolument injecter de l'argent public. Quand tous les acteurs privés s'arrêtent, il faut que l'argent public se mette en route pour soutenir l'économie. Partout dans le monde, et évidemment dans la zone euro, tous les États ont dû emprunter pour faire de la dépense publique. Il n'y avait pas d’autres options. 

Deuxième observation: en ce moment, nous avons des taux d'intérêt qui sont particulièrement bas.  Donc, aujourd'hui, quand les États de la zone euro empruntent, la plupart d'entre eux le font à des taux autour de zéro, et certains d'entre eux empruntent même à des taux négatifs. Le service de la dette - ce qui compte le plus chaque année dans le budget - se fait à des taux qui sont particulièrement bas. La vraie réponse, c'est que les États se sont engagés pour soutenir l'économie. L'économie va commencer à repartir maintenant en termes de consommation, en termes d'investissement, cela veut dire quoi ? Ça veut dire de la croissance. Et la meilleure réponse à apporter à un surcroît de dettes, qui était nécessaire, c'est évidemment de la croissance qui permet, avec un service de la dette relativement faible en ce moment, de rembourser progressivement.

On a beaucoup critiqué le retard à l’allumage de l’Europe au début de la crise, les égoïsmes nationaux, les silences de la Commission. Jacques Delors est lui-même sorti de son silence pour dire : « Attention, l’Europe est danger de mort! ». Ces critiques ne sont-elles pas un peu justifiées ? N’y a-t-il pas eu un retard à l’allumage ?

Évidemment, je vais défendre ma boutique, vous l'imaginez! La Banque centrale européenne a été sur le pont dans des délais extrêmement rapides. Si je compare avec la grande crise financière que l’on a connue en 2008, et ensuite la crise des dettes souveraines européennes en 2011, parce qu’on n’avait pas l'habitude, parce qu'on faisait face pour la première fois à une crise de cette nature, les institutions européennes ont mis du temps à lancer des nouveaux outils; elles ont mis du temps à s'engager. 

A la BCE, nous avons vraiment réagi dans des délais extrêmement rapides. 

Dès le 18 mars, nous avons pris des mesures exceptionnelles, on a même commencé à le faire dès le 5 mars. 

Ensuite, le 18 mars, nous avons développé encore plus notre action, et on a vraiment été extrêmement conséquents dans le soutien qu'on a donné à l'économie, à la fois en injectant massivement de la liquidité parce qu'il y avait une vraie crise de liquidité, et deuxièmement en s'assurant que les crédits allaient vers les entreprises dans des conditions de fluidité attractives pour tout le monde. Troisièmement, en essayant, parce que c'est notre mission, d'assurer la stabilité des prix en pesant sur les taux d'intérêt pour engager le crédit à l'investissement, le crédit à la consommation et faire en sorte que l'économie reparte. 

Je ne sais pas si vous lisez ou écoutez Michel Houellebecq, mais il a dit, sur cette crise, que le monde d’après sera « le même que le monde d’avant en pire ». C’est un peu ce que reproche Greenpeace, qui reproche à la BCE d’avoir alloué plus de 7,5 milliards d’euros aux énergies fossiles, polluantes et pas assez aux énergies écologiques, non polluantes. Qu’est-ce que vous répondez ? N’est-ce pas un mauvais signal ?

C’est un problème qui m'est particulièrement cher et auquel - même en étant un peu critiquée, à la fois il y a 8 ans au FMI et maintenant à la BCE -, je pense qu'on doit accorder une attention particulière et prioritaire. 

Nous avons lancé une revue stratégique, qui qui va reprendre maintenant que le coronavirus s'éloigne un peu et que l’on déconfine. On va aussi « déconfiner » notre revue stratégique et la remettre complètement sur le métier.

La lutte contre le changement climatique, la protection de la biodiversité seront des éléments très importants de nos différents modes d'action. Cela inclut plusieurs dimensions; et pas seulement les achats d'actifs. Sur ce sujet, d'ailleurs, je ne suis pas tout à fait d'accord avec les chiffres qui ont été exprimés, mais cela n'a pas d'importance...  Le fait est que nous devons prendre en considération, à titre prioritaire, ces éléments-là.

Cela va nous amener à changer nos modèles de projections économiques, à réexaminer l'ensemble de ce qu'on appelle les « collatéraux », c'est-à-dire les titres, les prêts aux entreprises, apportés en garantie par les banques pour se refinancer. Il faudra déterminer si ces prêts sont bien valorisés, compte tenu du risque climatique. Cela nous amènera aussi à travailler, dans notre fonction de superviseur, sur un « stress test » des banques qui prendra en compte la dimension du changement climatique. Cela nous amènera, très probablement aussi, à calibrer nos programmes d'achats sur les marchés avec pour paramètre – mais cela ne pourra pas être le seul paramètre - la lutte contre le changement climatique. Il faut savoir que nous sommes déjà de gros acquéreurs de ce qu'on appelle les « green bonds »: nous sommes très actifs sur ce marché-là, comme acheteur. Nous détenons à peu près 20 % de l'ensemble des « green bonds ».

Dans un Tweet, vous avez dit que ce qui vous avait le plus manqué, pendant cette période, c’est de pouvoir voir votre petit-fils. Quand vous le regardez aujourd’hui, est-ce que vous avez peur pour lui ? Quel est votre sentiment, votre impression ?

Je le regarde uniquement pour l'instant sur mon téléphone portable et sur des photos, donc c'est toujours un peu triste... J’ai très envie de le voir de plus près, comme j'ai envie de voir les membres de ma famille.  Quand je le regarde, je suis encore plus convaincue de la mission qui est la nôtre, qui est de travailler à ce que ce monde soit meilleur, à ce qu’il prenne en charge la lutte contre le changement climatique, protège la biodiversité, s'assure que la croissance qu'on va développer soit à la fois plus efficace et plus juste.  Donc oui, cela me donne un plus grand sens des responsabilités encore. 

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